Depuis bientôt six mois, dans le beau ciel de France,
un jour en Normandie, le suivant en Provence,
apparaît ci ou là, un bien étrange OVNI.
Serait-il affrété par des extraterrestres ?
A-t-on pu l’approcher, le filmer ? Que nenni.
Les ufolomachins avouent leur ignorance.
L’énigmatique objet suit son itinérance,
imperturbalement, le cap sur l’infini.
Serait-il affrété par des extraterrestres ?
Très ophyciellement, de Bergues le bourgmestre,
l’aurait dit à ses pairs fêtant Saint-Sylvestre.
Mais dans le camp adverse on a bien rigolé.
Maître Cissé-Paron, le chef de la sénestre.
le soupçonne d’avoir un peu trop picolé
Dés lors, le quinze avril, aux Étranges lucarnes,
émission scientifique et de récréation,
un jeune aérostier, natif de Seine et Marne,
étonne le public par ses révélations :
— Je stationnais, dit-il, en toute quiétude,
lorsque cent pieds plus bas, à moyenne altitude,
J’aperçois comme un disque en circonvolution.
Nous sommes tous les deux dans la même ascendante,
aussi puis-je sentir son odeur repoussante.
Je n’en descends pas moins voir l’étrange vaisseau,
qui de plus près s’avère être un vaste cerceau.
La puanteur devient de plus en plus fétide.
Il faut être aguerri dans un aérostat,
le cerceau semble suivre une sinusoïde,
bientôt, pour le toucher, suffit un iota.
Et surgissent alors des milliards de chaussettes,
défilant et vibrant comme autant d’électrons.
Toutes dépareillées, elles sont à la fête
et prennent leur panard dans ce grand cyclotron.
Sans le moindre ostracisme, en soie, en fil d’Écosse,
en laine ou en tergal, étonnamment véloces,
embarquant dans leur trip quelques mini-chaussons.
Elles suivent gaiement la fantastique ronde.
— J’ai bien peur que, parfois, vous vous fichiez du monde.
— Vous changerez d’avis après la vidéo.
Sur le petit écran, le public incrédule
voit soudain tournoyer l’étrange véhicule
et dans tous les foyers crépitent les bravos
— Au temps pour moi Monsieur, vous êtes un héros.
Ça doit sentir très fort par temps de canicule.
— C’est le prix à payer pour approcher l’OVNI.
– Nul doute que la chose inspire le poète
(sous réserve qu’il soit insensible au tournis)
Mais reste une question : d’où viennent ces chaussettes ?
C’est ici qu’intervient notre chaussettologue :
– Qui n’a jamais cherché biquotidiennement
sous le lit, dans l’armoire et jusque dans les gogues,
la chaussette perdue ? Personne apparemment.
Avez-vous remarqué que vous n’en perdez qu’une :
L’autre, mise au rancart, comprend votre infortune.
Seul un unijambiste en voudrait ici-bas.
Où peut donc s’envoler la chaussette insoumise ?
Chez les gens trop heureux qui vivent sans chemise,
ou dans un lieu secret, connu des seuls mi-bas ?
Nous savons désormais que dans l'aérosphère,
fuyant leur destinée semi-vestimentaire,
elles vont consommer un joyeux célibat.